David Téniers, dit le jeune ou deuxième du nom, est un peintre flamand du 17 ième siècle connu pour ses mises en scène grivoises de la classe populaire, et certains sujets plus politiques où fleurit la caricature subtile et le sens du codage.
Né en 1610 à une époque où la religion chrétienne fait débat avec la réforme protestante, il va évoluer dans le milieu très catholique de la famille des Habsbourg en se mettant au service de l’archiduc Guillaume comme peintre attitré et gestionnaire de sa collection de tableaux. Sa notoriété aidant, il obtient du roi d’Espagne de créer une académie des arts à Anvers en 1664, sa ville de naissance.
La peinture religieuse tient une place modeste dans son oeuvre car le sujet est épineux avec une guerre civile aux portes de l’ancienne Belgique. En 1581, sept provinces quittent le giron administré des pays-bas espagnols pour s’organiser en provinces unies indépendantes à forte majorité protestante. En 1618 commence la guerre de 30 ans qui verra guerroyer Ferdinand III, le frère de son mécène, âpre à défendre le catholicisme papal et les intérêts des Habsbourg d’Espagne et du Saint Empire contre les nobles protestants allemands soutenus par la Suède et la France .
Influencé par la peinture de genre et le style des brueghel père et fils, l’artiste va pourtant utiliser de façon obsédante un thème de prédilection sur Saint Antoine l’ermite, qui le conduira à conjuguer un naturalisme surréaliste avec un regard ésotérique assez singulier. En effet, dans sa série de tableaux sur « les ou la tentation de Saint Antoine », plusieurs personnages deviennent récurrents dans un décor assez proche, au milieu d’objets souvent identiques comme s’il nous invitait à découvrir la trame d’une réalité sous-jacente derrière la satyre habilement suggérée.
Partant de ce constat, j’ai étudié plusieurs de ses toiles sur le plan symbolique et cherché une correspondance géométrique dans leur composition.
Ce tableau a intrigué les chercheurs de l’affaire de Rennes le château car il présente plusieurs indices concordants avec la région du Razès dans l’Aude et le passé historique d’une ancienne place forte wisigoth Rhedae, surnommée aussi la « cité des chariots ».
L’abbé Saunière, vers la fin du 19 ième siècle, dans cette région très longtemps acquise aux thèses ariennes, se comporte de façon dispendieuse en organisant un jeu de piste ésotérique à partir de son église, avec l’idée qu’un secret historique en rapport avec la vie de Jésus et Marie de Magdala est caché quelque part. Ce thème sera très largement repris par Dan Brown dans son roman « Da Vinci code », qui va s’inspirer de cette affaire scabreuse avec ses règlements de compte politico-religieux et imaginera une descendance au Christ par une lignée mérovingienne.
David Téniers est cité avec Nicolas Poussin, son contemporain, dans le décryptage d’un parchemin supposé découvert par Béranger Saunière, qui l’amènera à orienter ses recherches et peaufiner sa course au trésor.
Mon but ici n’est pas de proposer un énième résumé de cette histoire en puisant certains éléments picturaux mais de comprendre ce qui constitue la spécificité de cette toile au niveau de sa philosophie.
Description et symbolisme
Des personnages anthropomorphes et hybrides, des animaux aux traits monstrueux ou morbides, représentés dans la partie gauche du tableau, viennent d’une position occidentale si l’on regarde la disposition du crucifix et l’orientation de la nef de l’église en arrière plan, pour rejoindre une grotte occupée par un moine en prière.
La caverne est généralement vue dans sa dimension symbolique comme un lieu central où s’effectue une transformation en rapport avec une initiation aux mystères, un cadre propice à une purification et une renaissance vers un autre monde si l’on se réfère au mythe platonicien.
L’entrée de la grotte met en présence deux types de notabilités sur des montures différentes, un prélat affublé d’un vêtement rouge, goguenard, chevauchant un squelette de cochon et un nain furieux habillé selon les 3 couleurs de l’alchimie, armé d’un couteau, venant d’un recoin sombre et juché sur un lion. Le gnome selon la Kabbale habiterait sous terre et détiendraient les trésors des pierres et des métaux précieux. Il regarde avec colère la pesée de l’or et les sacs entassés à la droite du tableau. Son compagnon léonin, symbole du pouvoir régalien et d’une justice musclée, foule de sa patte un autre personnage qui semble être esclave de ses désirs en se saisissant avec avidité d’un légume en forme de coeur.
Le notable sur son cochon équarri et arborant un vêtement rouge vif comme celui d’un cardinal (dont le terme peut renvoyer à « capital ») semble s’amuser de cette situation comme s’il exploitait un stratagème visant à renforcer son appétit. En effet, il incarne probablement avec d’autres figurants de la toile certains sentiments exacerbés des 7 péchés capitaux et pourrait avoir décroché celui de la Gourmandise avec son porc bien nettoyé, son chapelet de saucisses et sa bière fermentée.
Un couple se tenant bizarrement la main semble s’avancer vers un autel de pierre de forme cubique sur lequel Saint Antoine s’appuie en génuflexion, le genou droit en terre, signe de déférence au divin dans la religion catholique et d’initiation de haut rang en franc-maçonnerie.
L’ermite semble porter l’habit des Antonins avec la croix de Saint Antoine ou croix en Tau inscrite sur la cape grise par dessus la robe de bure. Ces religieux dépendant de la règle de saint Augustin et placés directement sous l’autorité pontificale, pratiquaient la médecine en prodiguant des soins aux victimes de l’ergotisme qu’on disait atteints du « feu de Saint Antoine ». Ils avaient aussi obtenu le privilège d’élever des cochons en liberté afin d’utiliser leur viande pour nourrir les pauvres et soigner les maladies de peau notamment la gangrène relative au mal des ardents. La clochette est souvent leur attribut dans les représentations en raison de celles que devaient porter leurs porcs qui vagabondaient dans les forêts.
Antoine le Grand est un saint célébré le 17 Janvier (comme Saint Genou(ph)!) par les catholiques, les orthodoxes et considéré comme le précurseur du monachisme chrétien avec un érémitisme pratiqué dans le désert de basse Egypte.
Pour avoir expérimenté les tentations du Christ et fait voeu de pauvreté, il incarne la figure de l’incorruptible et du vertueux spirituel.
Sa légende lui fait croiser vers le milieu du troisième siècle le chemin d’un autre anachorète en Thébaïde (près de Louxor) réfugié dans une grotte bordant le Nil et appelé Saint Paul l’ermite, avec lequel il partage un repas très symbolique apporté par un corbeau sous la forme d’un pain. Le thème de cette rencontre avec celui des « tentations de saint Antoine » a été exploité par le peintre afin d’alimenter un certain hermétisme cabalistique en prise avec la culture égyptienne et l’influence hellénique.
L’autel a la forme d’un bloc de pierre plutôt bien dégrossi sur lequel reposent 5 objets à la signification étudiée qu’on retrouve très souvent dans ses toiles:
-Le crâne: symbole de la mort corporelle et prélude de la renaissance à un niveau spirituel
-L’encrier et sa plume: source de l’écriture et de la puissance du verbe, intercession divinatoire
-Le livre ouvert: révélation d’une connaissance ou d’un message occulte, manifestation gnostique
-Le crucifix: notion de cycle de vie et de mort, pouvoir de résurrection
-Sablier: lien entre temporel et spirituel, relation entre microcosme et macrocosme, association de la figure constellaire d’Orion à Osiris, le christ égyptien.
Si la statuaire cubique était un signe de reconnaissance éternelle aux services d’une corporation éclairée dans l’Egypte ancienne, la pierre cubique revêt un caractère initiatique particulier dans les loges maçonniques. D’après une source anonyme diffusée sur internet, la pierre brute correspondrait à la materia prima qui doit être travaillée sous forme parallélépipédique pour un passage des ténèbres à la lumière dans l’optique d’un perfectionnement intellectuel et spirituel suivant les 6 directions.
Son degré d’achèvement peut être complété par un rajout pyramidal qui apporte ce lien transcendantal avec le plan céleste. N’est-ce pas la fonction de ces objets décrits plus hauts ou de ce petit théâtre de la « vanité » inscrit dans un tel dimensionnement géométrique.
On s’attendrait à voir une illumination plus franche que cette chandelle tendue par ce porc encapuchonné d’outre-tombe vis à vis de ce corbeau perché, représentant l’oeuvre au noir mais il faut sans doute entreprendre une recherche plus poussée et secrète. La flèche du cupidon se brisant de façon inexpliquée au dessus des trois personnages principaux au centre, témoigne d’une frontière invisible et d’un univers caché qu’il s’agit aussi de découvrir avec clairvoyance. Ses jambes taillées en forme de baguette de sorcier et ses petites ailes de fée le rangent dans la catégorie des êtres surnaturels mais sa flèche cassée montre qu’il a un pouvoir limité face au monde magique qui s’ouvre devant lui.
Pour revenir aux deux amants et leur gestuelle singulière, l’homme a des oreilles pointues comme le gobelin mais avec une distinction qui le place dans une catégorie plus élevée d’elfes (elfe blanc pour aristocrate?) alors que sa conjointe plus timide a des serres en guise de pied pour marquer l’aérien et rappeler les oiseaux de proie. Deux autres personnages ont ces pattes de rapaces notamment le prélat et la femme chargée de la pesée des pièces d’or, preuve que la jeune fille noble en rose et blanc appartient à un clan qui gère des richesses et compte des religieux assez nantis et délurés.
L’aigle est un chasseur de serpents ou il s’en accommode comme certaines représentations de Saint Jean l’évangéliste surnommé « l’aigle de Patmos » le laissent supposer avec les attributs de la coupe et du serpent.
Symboles de la connaissance secrète, on voit ici quelques serpents se glisser dans certains ouvrages sans doute dédiés à la science occulte ou alors se réfugier sous les jupes d’une femme instruite dans d’autres toiles du peintre. Dans son aspect femelle, le serpent cobra (uraeus) de la mythologie égyptienne, en tant que protecteur de la figure pharaonique, personnifiait un certain degré de clairvoyance (oeil de Ré) et de connaissance de l’au-delà cyclique probablement à cause de la fréquence de ses mues et de sa capacité d’orientation et de prédation.
Dans la bible, le serpent est indissociable de l’arbre de la connaissance du bien et du mal et donne le change à une qualité perceptive d’Eve, qui selon les interprétations correspond à un prolongement adamique ou une partie sensible et volitive de l’être androgyne. Ces détails ont leur importance car un arbre symbolique attaché à cette jouvencelle peut être évoqué dans le cadre de cette initiation de la caverne, symbolisant l’intériorisation en proie à ses peurs et ses tourments qu’un maître spirituel comme Saint Antoine sait dépasser.
D’autres créatures montant des sortes de baudroies, appelées aussi « diables », attirent l’attention sur un conflit au plafond entre un rongeur porteur de lumière (donc luciférien) et une entité sombre munie d’une tête de rapace. Ce scénario opposant deux forces aériennes revient souvent dans les compositions de Téniers pour donner un point d’orgue à une construction particulière. L’assaillant a le visage du rat dont l’image symbolique est traditionnellement associée au vol dans son sens avaricieux et opportuniste. Cet animal a ici une action vengeresse ou purgatoire en liaison avec le feu destructeur et a servi d’animal fétiche à Apollon le dieu grec de la lumière, aux actions très ambivalentes entre fléau et guérison purificatrice.
En dessous, on retrouve la chauve souris avec ses ailes en croix qui est souvent reprise par l’artiste pour marquer un repère de construction et qui répond à la tonsure du moine de façon humoristique. On rapporte que dans l’iconographie de la renaissance, elle correspond au symbole de la femme féconde à cause de ses mamelles de mammifère volant, ce qui la définit ici comme un principe actif de croissance et de transformation.
La poule, vue plus bas en train de déféquer a aussi un rôle de catalyseur biochimique notamment avec son association au pot à eau, renvoyant au « solve » ou étape de dissolution. Pour l’alchimiste de l’époque, le poulet à tête rouge, plumes blanches et pieds noirs incarne les différentes opérations menant à un « coagula » de couleur rouge-orangé servant à parfaire d’autres composés comme la pierre philosophale. Avec ce corps de gallinacée en forme d’oeuf alchimique ou de vase, on fait probablement allusion au « poulet des sages » c’est à dire au principe fécondant et à la propriété d’amalgamation du mercure vis à vis de certains métaux, notamment l’or.
D’autres animaux font aussi des clins d’oeil à une histoire symbolique et une organisation géométrique comme ce paon incarnant l’orgueil et criant non pas au loup mais au lion (léon!) et qui sait faire la roue comme chacun le sait!
Que peut-on dire alors de la scénarisation de ce tableau et du caractère symbolique de ces personnages?
- On a un règlement de compte conduisant à un profit
- Une caste nobiliaire profite de la situation et parfait son initiation dans le domaine de la science occulte
- Une classe dirigeante réclame vengeance par rapport à une collecte de fonds ou des biens détournés.
- Le vertueux ne se laisse pas distraire par le jeu du pouvoir et des prérogatives matérielles.
Construction géométrique
La définition d’une zone où pourrait s’inscrire le regard de l’observateur suivant le nombre d’or (cadrage en utilisant 1/phi et en le multipliant par la longueur ou la largeur du tableau) se porte sur le couple dont le jeu de main fait penser à un coeur ou un uterus (voir pl. 3).
Le pouce qui domine la paume composée des 4 autres phalanges , et dont la mesure peut dépendre d’un rapport avec le nombre phi, est souvent associé à l’esprit flamboyant (lettre Shin) ou au 5 ème élément. On voit qu’ici la communion est d’ordre spirituel puisque les deux amants se le touchent de façon significative. A noter que le nombre 1618 dans le coin gauche du tableau, qui peut être un rajout ultérieur, fait immédiatement penser à la possibilité d’un décryptage graphique de cette oeuvre suivant le nombre d’or mais cette mention est à mon avis inutile sauf si l’on cherche à insister sur autre chose, comme par exemple la référence à une date comme celle de 1618. En effet le plateau de la balance de forme triangulaire sur lequel s’ajoute la pièce d’or indique clairement que l’on peut jouer avec les triangles dorés dans cette composition.
Le regard appuyé des personnages de cette toile vers le nain en furie, montre qu’il est une pièce importante dans l’émergence d’une construction graphique. Sa vision elle-même se focalise sur le fléau de la balance avec son registre symbolique mais croise également l’architecture mécanique très spéciale des plateaux, l’or étant attaché au triangle et l’argent ou le plomb à la forme arrondie. Avec cette allusion alchimique de l’or et du vif argent, il apparait donc comme un maitre dans la transmutation des métaux et une sorte de génie de la révélation de l’invisible. Son vêtement tricolore confirme encore une fois qu’il connait toutes les opérations du Grand Oeuvre. Avec un lion qui voit rouge (lion rouge) c’est aussi un degré de raffinage qu’il se complait à obtenir.
Visualisation d’un quadrillage
L’autre intérêt se porte sur l’autel avec son lot possible d’apparitions liées à la présence de 5 objets cultuels sur sa partie plane. Ce chiffre reste attaché à des notions de milieu et de lumière. On sait aussi qu’au dessus une bougie enfichée dans un balai pourrait très bien l’embraser d’un seul coup.
La forme cubique en dehors de sa traduction ésotérique peut aussi avoir une valeur indicative sur la présence d’une grille de découpage et donc une notion d’échelle. Le graal fait un rappel étymologique à la grille mais aussi à la coupe liturgique, c’est un procédé symbolique qui désigne l’association géométrique du carré et du cercle dans une relation, où le cercle peut s’inscrire dans le carré et le surnaturel interagir avec le plan matériel.
Le quadrillage est donc important à trouver pour définir des limites et asseoir une construction à base de cercles. La chauve souris revient souvent dans le décor des tableaux de Téniers pour définir une verticale marquante. Si le jeu des mains ou des pattes est intéressant pour étudier le passage d’une ligne imaginaire, le port de tête et le concours de certains instruments sont utiles également pour soutenir un axe horizontal ou inscrire un axe vertical.
Arbre séphirothique
La jeune fille semble plus à la place d’une initiée novice qu’une initiatrice mais va servir néanmoins de base de projection pour installer l’arbre séphirothique. Le nain efféminé avec sa boucle d’oreille en forme de perle (de rosée) qui capte l’attention des personnages va permettre de visualiser quant à lui un ensemble de cercles avec une indication sur un coït probable entre la 4 ième et la 7 ième séphirah non loin de celle de la beauté (n°6 Tipheret) que la chauve souris maintient bien en place dans un axe vertical et médian. Le couteau brandi et la figure écarlate du gnome exprime bien cette réalité d’un passage en force (séphirah N°5) d’un triangle doré appartenant à une manifestation divine, qui aura l’aspect d’une étoile pythagoricienne à 5 branches.
L’endroit de la copulation est facilement identifiable, il est en rapport avec le chevauchement de l’index des mains qui peut désigner la lettre alpha du fameux carré SATOR, celui de l’homme dominant en acte (A) et en esprit (S) si l’on regarde de près la gestuelle.
Au dessous, on retrouve un lapin lubrique qui fixe le jeu de main utérin. Connu pour son appétit sexuel, il est souvent associé à la lune et ses cycles pour ses moeurs crépusculaires et son sens du fouissage (les terriers sont des caches) et au principe de fécondation pour son côté prolifique.
Etoile pythagoricienne
La direction du balai et la balistique de l’angelot permettent de cibler le coeur d’étoile et son orientation principale est confiée à la discrétion de la canne du saint qui s’aligne sur la scène de crime avec ce personnage aquilin transpercé.
Une attention particulière a été apportée dans la figuration de ce combat à une construction carrée soulignant l’intérêt du nombre d’or et du chiffre 3 dans la conceptualisation d’une Jérusalem céleste (voir pl. 5)
Les branches étoilées renforcent la couleur chaude de certains vêtements et confirment la position de l’astre dans le décor.
Cette étoile cerclée dans son illusion optique repose sur le bloc de pierre dont on a rappelé le symbolisme christique, l’intérêt est maintenant de comprendre sa signification abstraite. Elle est souvent suggérée dans les oeuvres du peintre par des personnages situés dans l’entourage proche de l’ermite et attirant son attention, dotés d’oreilles pointues ou arborant des cornes. On peut raisonnablement penser qu’une allusion est faite à un pentacle inversé dont la pointe viendrait s’enficher dans la pierre avec un triangle divin (36°,108°,36°) dirigé vers le haut et dont le sommet est occupé ici par un corbeau alchimique et psychopompe.
D’après un document maçonnique disponible sur internet, le pentagramme, pointe en bas, évoque « la connaissance transcendante qui renvoie à la quête d’immortalité et d’absolu pour Lucifer et pointe en haut pour Christ dont la rédemption lui permet l’accès au divin ». Les ténèbres sont donc vécues comme un chemin nécessaire pour suivre sa lumière intérieure comme ce moine qui s’isole du monde dans sa grotte à l’affût d’une vérité divine ancrée en lui.
L’alchimie assimile bien ce Lucifer à l’oeuvre au noir, soit cette putréfaction que le corbeau incarne, mais d’une façon non démoniaque et révélatrice. Le mercure philosophique, ingrédient de base qui peut être perçu comme un amas de pièces mal dégrossies comme on le voit à droite du sac d’or, doit conduire à la pierre philosophale, capable de transformer les métaux communs avec leur taux d’impureté en métaux précieux. A noter que le signe alchimique du mercure correspond à notre signe désignant la féminité surmonté de cornes.
Lucifer a aussi été comparé à la planète Vénus observée dans l’ombre du soleil naissant et guidant à l’Est les rois mages sur le lieu de naissance de Jésus à moins qu’on ne fasse aussi allusion à un alignement de Sirius avec le baudrier d’Orion. Pour ajouter une concordance symbolique, la fréquence synodique de la planète Vénus sur 8 ans permet d’ébaucher un pentacle inversé pour un tour complet du zodiaque.
Dans cette scène, l’étoile est donc pointe en bas avec une angulation de 26° par rapport à la verticale. Ce nombre est intéressant car il correspond à celui du tétragramme YHWH (10+5+6+5) et l’inclinaison peut souligner, dans ce repère pictural en corrélation avec une représentation zodiacale adoptant le poisson-vierge comme indicateur N-S, un appui certain du Lion (pl. 6 et 7) dont on a rappelé le rôle actif dans le vocabulaire alchimique (lion rouge). La réduction théosophique appliquée à l’alphabet français du mot « lion » donne aussi ce chiffre 5 très souvent associé au concept de « lumière », dont le mot peut être écrit « Aor » dans sa transposition hébraïque.
Dans d’autres articles détaillés à propos du planisphère de Denderah, j’ai pu montrer que deux types d’étoiles peuvent se côtoyer dans la mécanique ontologique de l’homme osirien et que l’étoile inversée peut cibler Isis et l’éducation du très jeune enfant.
Cette étoile qui impacte l’archétype féminin et sa progéniture tout en sortant des limites d’un paradis céleste présidé par les 12 constellations du zodiaque s’appuie pour son triangle d’or plat sur la vigueur du Lion constellaire et le concours de Vénus et de la Licorne. Cette association astrologique du Lion et de la Vierge est un thème repris sur quelques sites religieux notamment celui de la basilique de Notre Dame de Fourvière où le Lion prend en considération le Lyon (lugdunum) à savoir le corbeau qui a inspiré le nom de la ville pour sa colline. L’équipage Lion-Corbeau est très distinctement repérable sur le disque égyptien avec l’oiseau Ahkem (constellation Corvus) qui regarde dans la direction opposée au félin sur la barque formée par l’Hydre. Le Lion reste donc une constellation de choix dans l’affirmation d’une croissance dynamique et représente d’ailleurs dans l’ésotérisme du 16 ème siècle cet Alpha vital qui compte sur le plan matériel pour le repérage en X des 4 gardiens célestes.
L’histoire dans l’Histoire
On peut se demander si derrière la variété de ces personnages symboliques, le thème de la corruption, la profusion des références alchimiques, le savoir ésotérique de l’auteur, on a pas dans ce tableau quelques éléments de critique dissimulés envers un système mêlant le spirituel au politique et le religieux à la quête du profit.
La date de réalisation de ce tableau étant plutôt incertaine, c’est la mention de 1618 en bas à gauche qui peut marquer les esprits car c’est une date à classer avec des faits divers s’étant déroulés en Bohème (défenestration des gouverneurs de Prague le 26/05/1618) et qui ont précipité l’Europe centrale dans une véritable guerre civile entre sympathisants protestants et catholiques du régime impérial, enclins à défendre un régime qui leur apportait biens et privilèges avec le soutien du pape.
Depuis le jeu d’opposition politique entre « Guelfes et Gibelins » (référence mythologique aux elfes et gobelins de ce tableau?) au 13 ème siècle c’est la branche des Habsbourg qui a affirmé son emprise sur le trône du Saint Empire et pris la tête de la contre réforme en prônant un militantisme catholique durant le 16 ième siècle.
On voit en haut du tableau un duel entre un rat et un aigle touché au torse par une pointe laissant entrevoir un nombre flouté entre un 1 et un 4 terminal bien défini. A-t-on voulu censurer la date de 1274 relative au premier sacre d’un Habsbourg dont la nomination a permis de mettre fin à la dynastie des Hohenstaufen et de clore la période du grand interrègne. Alors que ce membre de la maison Habsbourg est confirmé dans sa souveraineté impériale par le pape Grégoire X, c’est à cette période également, lors du 2ème concile de Lyon, que l’ordre de Saint Augustin est définitivement adopté. A cette époque Rodolphe 1 er arborait dans ses armoiries l’aigle noir et le lion rouge en attaque sur le coeur sans doute visé ici si on pousse la métaphore. En opposition héraldique le blason de la maison Hohenstaufen (clan des Gibelins) mettait en scène le lion noir.
Le lion du bas n’est il pas alors la réponse colérique et exaspérée d’une dynastie politiquement affaiblie avec ces conflits de religion et contrainte à un partage des richesses, alors que l’empire romain germanique commence à se morceler sur le territoire européen? Une branche religieuse dissidente pourrait également rester narquoise par rapport à ces évènements violents et compter les points entre papistes et protestants, ce sont les Jansénistes expulsés des Pays-bas par Ferdinand III à partir de 1653 à cause d’une bulle papale qui les considère comme hérétiques.
La monture du cochon de cet ecclésiastique en rouge n’est probablement pas anodine et fait peut-être référence à la communauté des Antonins qui dépend de la règle de Saint Augustin or les Jansénistes prétendent justement s’appuyer sur les positions de cet évèque et de sa théologie. Cette dernière défend le recours de la grâce divine pour le mécanisme de rédemption et condamne implicitement la liberté d’un absolutisme royal qui ne connait aucune barrière morale pour s’imposer et s’enrichir.
Autre hypothèse, ce tableau si riche par sa figuration et son symbolisme peut faire référence à un trésor caché dans le sud de la France. Il répond à certains codes d’orientation et un mysticisme possible avec la légende de Marie Madeleine (Isis) dans le sud de l’hexagone. En 1661, on évoque dans une gazette burlesque la découverte partielle d’un trésor dans le diocèse d’Alet. Blaise d’Hautpoul, seigneur de Rennes et l’évèque d’Alet qui a des aspirations jansénistes s’en disputent la propriété. Le mystère de l’or de Rennes le château prend de l’ampleur avec l’abbé saunière qui organise fin 19 ème une mise en scène ésotérique dans son église et ravive la mémoire des Hautpoul, avant le décret de laïcité française et la guerre de 14 qui mettra fin au règne austro-hongrois des Habsbourg.
Il est difficile de statuer si ce tableau exposé maintenant en Espagne correspond à un tableau de commande ou a été détourné connaissant les talents de l’artiste pour un certain occultisme. Des rajouts ont peut-être été faits ultérieurement avec ces lettres sur le sac d’or par exemple, ou ce floutage grossier laissant apparaitre après traitement numérique ce « 735 » à l’endroit du bâton meurtrier avec l’envie peut-être d’évoquer un épisode guerrier contre les Maures en rappelant le Richard coeur de lion de la croisade ou le Charles Martel libérateur du sud de la France.
Si on s’en tient à l’affaire de Rennes le château certains détails sont intéressants, malgré un problème de chronologie historique lié à certains personnages vis à vis de la période de réalisation de l’oeuvre.
-Le profil de la montagne peut faire penser à Bugarach comme l’indique la planche 1bis du préambule et l’église sur sa colline peut renvoyer à l’église Sainte Marie Madeleine de Rennes le château qui se trouve de ce fait à la hauteur de tête du couple qui s’unit comme ce François d’Hautpoul avec une certaine marie de Nègre d’Ables au 17ème siècle, qui lui apporte un titre de marquis et dont la pierre tombale va stimuler les recherches de l’abbé Saunière bien plus tard.
-Le poulet alchimique peut faire penser à la lignée des Hautpoul dont le coq est l’emblème et un secret conduisant à un trésor anciennement détenu par les cathares ou un passé mérovingien.
-L’ étoile inversée à la connotation diabolique fait état d’un cercle et d’une cache possible dans la région, ce que ne démentira pas Henri Boudet avec son Cromlech imaginaire ou l’Asmodée de l’église de Rennes le château avec son signe de la main.
-La grenouille ou le crapaud peut être une allusion déguisée à la légende de saint Paul l’évèque de Narbonne et une référence à Saint Paul de Fenouillet au nord du pic du Canigou et au sud est de Bugarach.
-La figure du moine peut alors faire l’objet d’un rapprochement avec l’ermitage de Saint Antoine se trouvant non loin de là et qui rend hommage à Saint Antoine le Grand avec la présentation d’un carré SATOR en pierre dans une des cavités remaniée en chapelle. Dans ce paysage de gorges étroites et de grottes aménagées autrefois par les ermites coule l’Agly appelée aussi la rivière des aigles.
-L’écriture PF rajoutée peut-être ultérieurement sur le sac d’or (voir pl. 1) peut faire penser aux initiales de Nicolas Fouquet, surintendant du roi Louis XIV et sa réputation d’affairiste ainsi que celle de Nicolas Pavillon évèque d’Alet dont on soupçonne un enrichissement personnel.
Conclusion
Afin d’éviter de rappeler toute l’ingéniosité du peintre Téniers dans la construction symbolique de ce tableau surréaliste, très riche dans le registre alchimique et les références néoplatoniciennes, on peut citer d’autres oeuvres de l’artiste montrant qu’il n’a jamais manqué d’imagination sur ce thème tout en recourant à la même composition savante et codifiée.
PHIM